Auberge de Mézières : l’exemple d’une rénovation et d’une reprise réussies

Rédigé le 27/05/2024


Propriété de la commune depuis 216 ans, le bâtiment qui abrite l’auberge communale de Mézières a été rénové de fond en comble de 2017 à 2019 et a vu l’arrivée d’un nouvel exploitant à sa réouverture. Rencontre avec Valérie Pasteris, côté Municipalité, et Nicolas et Solenne Lemasson, restaurateurs de l’auberge depuis 2019.

Valérie Pasteris, secrétaire municipale de Jorat-Mézières et conseillère municipale de Mézières de 2013 à 2016 (avant la fusion et la création de Jorat-Mézières le 1er juillet 2016)

Depuis quand la commune est-elle propriétaire des murs de l’auberge ?

Depuis 1808. C’est à cette date que Dame Charlotte de Watteville vendit l’auberge à la commune. La transaction coûta 22 000 francs aux Méziérois.

Le bâtiment datant du XVIIe siècle, quelles affectations a-t-il connues ?

Lors de mes recherches sur ce bâtiment, j’ai découvert qu’il a eu de nombreuses fonctions : écurie, boucherie, poste de gendarmerie, logement loué à des pèlerins de St-Jacques-de-Compostelle, cabinet de dentiste, bureau de la Justice de paix, prison et, bien sûr, café-restaurant !

Une annonce parue dans la Feuille d’avis de Lausanne en juillet 1911 permet de se rendre compte des procédés de l’époque pour la mise en location de l’auberge 1 : « Mise d’auberge le samedi 29 juillet courant à 2 heures du jour, au Lion d’Or, la Municipalité de Mézières affermera par voie d’enchères publiques, pour le terme de 9 ans, l’auberge communale de l’endroit et ses dépendances. Cet établissement situé sur les routes Vevey-Moudon et Echallens-Oron, est siège des autorités du cercle et de commune et de nombreuses sociétés locales. A preneur sérieux cet établissement offre un revenu assuré. Les conditions de mise sont déposées au Greffe municipal. S’inscrire au moins 5 jours avant la mise chez M. le Syndic en indiquant deux cautions solvables. »



De 2017 à 2019, l’auberge a été l’objet d’une rénovation en profondeur. Lors du lancement du projet, quelques années plus tôt, vous étiez conseillère municipale. Qu’est-ce qui a poussé la Municipalité à vouloir rénover complètement l’auberge ? Le fait qu’il s’agisse d’un bâtiment historique classé a-t-il influencé la décision de faire perdurer l’auberge et de la rénover ?

Les exploitants de l’époque, M. Garcia et son épouse, avaient fait valoir leur droit à une retraite bien méritée pour fin 2015 et la Municipalité était consciente qu’il n’était pas possible en l’état de relouer les locaux à un nouvel exploitant car ils n’étaient plus aux normes. L’appartement côté nord (dans les anciens locaux de la gendarmerie) ne pouvait plus être loué en l’état non plus. Les chambres à l’étage n’étaient plus louables depuis bien longtemps et servaient de débarras aux exploitants de l’auberge. Ce qui a motivé la Municipalité à rénover ce bâtiment communal emblématique, au milieu du village, était d’y faire perdurer une auberge communale avec toute son histoire.




Faire accepter ce projet au Conseil et aux habitants a-t-il été un défi ?

Vu la somme engagée de plusieurs millions, ce dossier a été un sacré défi et m’a donné quelques insomnies mais nous étions prêts à le défendre avec le syndic de l’époque, M. Patrice Guenat. Nous avons pu répondre à toutes les questions et inquiétudes des conseillers et démontrer que ce bâtiment avait un bel avenir et du potentiel après rénovation. Les conseillers communaux de l’époque ont d’ailleurs accepté tant le crédit d’étude que le crédit d’investissement, ce qui a été une belle preuve de confiance pour nous.

Lors de l’étude préalable, outre le maintien de l’auberge communale, il était ressorti qu’une partie de la bâtisse serait affectée en locaux commerciaux, que deux appartements seraient créés (un était de toute façon obligatoire pour être mis à la disposition du futur tenancier de l’auberge et de sa famille), de même que des chambres d’hôtel. Très vite, la direction du bureau de géomètres Gemetris SA, qui louait déjà des locaux à Mézières mais qui y était à l’étroit, nous a fait part de son intérêt pour ces futurs lieux afin d’y déplacer son personnel. Durant les travaux de rénovation, ils ont en outre montré leur intérêt pour le deuxième appartement afin d’avoir plus de place. Pour les chambres, nous avions fait préalablement une étude sur la nécessité d’en prévoir ou pas. Bien que nous pensions qu’elles seraient certainement louées durant la saison du Théâtre du Jorat, il était nécessaire de savoir si elles le seraient aussi les autres mois. Or tous les retours que nous avons eus tendaient sur le manque de chambres dans la région. Il me semble que nous avons vu juste car, d’après mes informations, les six chambres sont régulièrement louées.

Après les travaux, comment le changement a-t-il été accueilli par les habitants ?

Je n’ai entendu que des échos positifs !

La recherche d’exploitant a-t-elle été difficile ? En quoi le couple Lemasson vous a-t-il convaincus d’être l’exploitant qu’il fallait pour l’auberge ?

De mémoire, il y a eu cinq candidats pour cette reprise. Je ne peux pas répondre sur le choix de l’exploitant car je n’étais plus conseillère municipale à ce moment-là et pas encore secrétaire municipale. Je pense toutefois que le concept qu’ils ont proposé, leur expérience et le fait d’habiter sur la commune ont été déterminants.

Qu’est-ce que l’auberge apporte à la commune, à ses habitants et à la région selon vous ?

Il s’agit d’un lieu de rencontre et de partage. Un lieu de vie qui complète les autres établissements installés sur la commune.

Nicolas et Solenne Lemasson, exploitants de « L’auberge de Mézières » depuis le 1er janvier 2019

Qu’est-ce qui vous a donné envie de reprendre cette auberge ?

Nous avions envie d’avoir notre propre établissement et de faire quelque chose à notre image. Après onze années comme restaurateurs au Golf de Lausanne, nous souhaitions un nouvel univers ; un endroit chaleureux où les gens viendraient passer un moment agréable, un endroit où les gens se sentiraient un peu comme à la maison, avec une cuisine de saison et un service attentionné et personnalisé.

Quel lien avez-vous avec la commune ? Pourquoi avoir choisi ce lieu ?

Nous habitons la commune depuis 2009 et nous nous sommes dit que ce serait quand même une sacrée chance de travailler à côté de là où nous habitons, dans une région que nous adorons : le Jorat ; nous avons donc décidé de déposer notre candidature à la commune.

D’après les échos que vous entendez à l’auberge, qu’est-ce qu’elle représente pour les habitants ? Vient-on loin à la ronde pour y manger / dormir ?

Les gens nous disent qu’il est bon de voir revivre cet établissement. Nos clients viennent de partout (région, canton et autre) mais principalement de la région, du village. Il arrive fréquemment que beaucoup se connaissent dans la salle, ce qui crée vraiment un climat convivial. Nous accueillons des personnes de tout horizon, de toutes catégories socioculturelles. Au restaurant, par exemple, des gens viennent du Valais pour partager un repas en famille puis profitent que nous ayons des chambres d’hôtes pour passer la nuit avant de repartir le lendemain. A l’hôtel, nous recevons beaucoup de gens pour leur travail (clientèle fidèle) ou bien des personnes faisant le chemin de Compostelle ou encore des familles d’habitants de la région, voire même des touristes d’Asie, d’Australie ! Un bon référencement sur internet est très important pour se faire connaître.



Quel est le secret pour qu’une auberge communale fonctionne selon vous ?

Comme partout, il faut être à l’écoute de ses clients et tenir une certaine philosophie d’auberge. Tout restaurant de village accueille ses habitués. Il faut les chérir, les considérer. Aujourd’hui, certains de nos clients habitués sont même devenus des amis. Il faut être là pour nos clients tout simplement.

Quels contacts entretenez-vous avec la commune qui est la propriétaire des lieux ?

Notre relation avec la commune est très bonne. Ils sont toujours à notre écoute et le dialogue est très facile.

Qu’est-ce qui semble attirer vos clients à votre table ? Le label « Fait maison » est-il un vecteur de succès par exemple selon vous ?

Aujourd’hui les gens recherchent de plus en plus à consommer des produits locaux et nous sommes très gâtés dans le Jorat. Nous avons même créé une association avec des amis restaurateurs de la région pour faire découvrir nos artisans locaux, nos producteurs et éleveurs : « @Jorat, Mangez-moi ». Et il y a aussi tous ces grands vignerons « indépendants » de la région de Lavaux, de la Côte, du Chablais. Notre carte des vins est composée de 95% de vignerons suisses avec des prix très doux.

Il est clair que le label « Fait maison » permet aussi d’affirmer notre cuisine comme saisonnière et élaborée avec principalement des produits frais et locaux. Notre cuisine est conviviale, c’est une cuisine de partage avec des plats parfois simples, gourmands mais élaborés sur place avec des produits bruts et frais. Ce qui devient malheureusement rare. Je prends souvent comme exemple la demande d’un plat par un client, telle qu’une omelette aux cèpes du Jorat. Même si elle n’est pas à la carte, ce plat est possible. Cuisine de cœur et non de chef ! D’autres fois plus élaborée, elle permet aussi de faire découvrir d’autres saveurs, d’autres produits à nos clients (fruits de mer, homard, truffe, …).

D’autre part, l’ambiance de la salle fait que les gens s’y sentent bien. Le mobilier que nous avons choisi et investi doit être confortable et de qualité. La décoration change au gré des saisons, tout comme la cuisine.

Avoir des chambres d’hôtes contribue-t-il aussi au succès du restaurant ?

L’hôtel ne nous apporte pas vraiment plus de monde au restaurant, disons que c’est le petit plus occasionnel.

Il arrive que des gens dorment à l’auberge car ils mangent au restaurant et, plutôt que de risquer de prendre la voiture après une soirée un peu arrosée, préfèrent rester sur place.

Certains mangent au restaurant parce qu’ils dorment à l’hôtel. C’est le cas notamment des personnes qui viennent pour le travail et qui mangent en compagnie de leurs clients. C’est un lieu de partage et de négociation. D’autres dorment à l’hôtel mais on ne les voit pas au restaurant.

Une auberge complète (chambres et restaurant) apporte beaucoup à un village urbain. C’est toutefois un investissement en temps et en argent très important, beaucoup plus qu’un simple restaurant. Il faut toujours se renouveler, tout en ayant une base attractive en termes de choix et de prix. Nous proposons des animations aussi telles que notre semaine du terroir du Jorat avec l’association « @Jorat, Mangez-moi » et une soirée musicale avec l’ancien chef d’orchestre de Lausanne. 

Propos recueillis par Stéphanie Andrzejczak, chargée de communication à l’UCV.